Thursday, August 24, 2006

Quelques réflexions sur l'amour

L'amour est classiquement défini (dictionnaire Lalande) comme "l'inclination sexuelle sous toutes ses formes" . Ce sens premier d'attraction, d'inclinaison physique avant que d'être morale ou spirituelle est celui mis en avant par Le Cantique des cantiques. Le premier verset débute ainsi : "Qu'il me prodigue les baisers de sa bouche!...Car tes caresses sont plus délicieuses que le vin. Tes parfums sont suaves à respirer ..."
Mais, dans Le Cantique des cantiques qui est, sans doute, un des plus vieux chants d'amour, l'amour est avant tout souffrance, attente du bien-aimé, recherche et quête de l'autre "Sur ma couche nocturne, je cherchai celui dont mon âme est éprise : je le cherchai mais ne le trouvai point". Mais l'amour y est aussi exaltation de la beauté de l'autre. L'amour est entier, partage de l'autre, identification de soi à celui que l'on aime : "Je suis mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi". Mais le Cantique des cantiques est également une mise en garde contre les dangers de l'amour. Le femme qui parle de son bien-aimé semble éperdument éprise et malheureuse et elle met en garde les autres filles de Jérusalem de ne pas tenter l'amour avant qu'il ne se présente à elles. Tolstoï affirmait, quant à lui, dans De la vie : "Les 99 centièmes du mal parmi les hommes proviennent de ce faux sentiment qu'ils nomment l'amour, et qui ne ressemble pas plus à l'amour que la vie de l'animal ne ressemble à la vie de l'homme".
A la lecture de ce texte plusieurs réflexions semblent faire jour : l'amour va au-delà d'une simple relation et concerne l'existence dans son entier. Il est ce qui peut définir un être, il est quête de soi à travers la recherche de l'autre, la recherche de l'amour de l'autre. L'amour attend un retour (même si celui-ci n'arrive pas toujours). L'amour en ce qu'il transcende le coeur pour remplir une existence et un être dans son ensemble est aussi un péril, peut-être le plus grand, il est souffrance quasi-inévitable. Cela semble être la leçon que le Cantique des cantiques veuille donner.
Platon dans Le Banquet,interroge les courants philosophiques au travers de ses convives pour qu'ils réfléchissent sur une définition de l'amour. Il rappelle en premier lieu que l'amour à travers Eros est sans doute le premier des dieux. Il évoque pour cela les paroles d'Hésiode : "Au commencement était le chaos, puis, ensuite, la terre au large sein, fondement inébranlable et éternel de toutes choses, et Eros...". Pour Phèdre qui est le premier à prendre la parole, Eros est la source de tout. Ceci permet d'emblée de souligner l'importance de l'amour.
Mais dès le second discours, Pausanias, instaure une distinction cardinale entre l'amour vulgaire et l'amour céleste, seul le second étant digne de louanges : "Tout amour n'est pas beau, ni digne d'être loué, mais seulement celui dont l'incitation à aimer est belle". L'amour vulgaire est celui de ceux qui aiment "plus leurs corps que leurs âmes". Il y aurait donc clairement deux types d'amour, l'amour sincère, pur et innocentd'une part et celui de la chair, purement hédoniste qui oublie l'ame d'autre part. Pausanias décrit l'amour céleste par le biais de plusieurs éléments : l'intelligence, la volonté de rester auprès de son (sa) bien-aimé(e) sa vie durant, ne pas profiter, abuser de l'autre, ne pas tirer parti de sa jeunesse et enfin la fidélité.
Et c'est d'ailleurs bien ce type d'amour que la littérature exalte le plus souvent. On se souvient de Tristan et Iseut (oeuvre de Béroul aux environs de 1150-1190). Dans cette oeuvre il est fait allusion à un "amour pur, sans déshonneur", entier et vrai jusque dans la mort. Le même thème sera repris par Shakespeare dans Roméo et Juliette. La mort hante cet amour impossible, elle représente l'ultime preuve d'une fidélité sans failles. Mais Shakespeare, dans sa réflexion sur l'amour va plus loin. En écrivant Le songe d'une nuit d'été , il montre également l'autre figure que peut prendre l'amour et se rapproche plus ou moins de ce que Pausanias appelait l'amour vulgaire. Dans Le songe d'une nuit d'été, Shakespeare en introduisant un soupçon de fiction et de magie entend, en effet, montrer que l'amour peut être volage. Par l'effet d'un sortilège dont sont victimes les protagonistes, les amours se renversent et celui qui croyait être aimé ne l'est plus et vice-versa. L'amour devient alors perfide et trompeur. Tel un songe il s'empare du coeur et de l'esprit de sa proie. Le verbe devient alors l'instrument de cette perfidie. Shakespeare montre comment les compliments peuvent être intervertis d'un instant à l'autre ce qui lui permet de faire comprendre à son spectateur qu'il convient de se méfier des paroles d'amour. On rejoint alors le message du Cantique des cantiques : " Je vous conjure, filles de Jérusalem, n'éveillez pas, ne provoquez pas l'amour avant qu'il ne le veuille".
Il semble donc qu'un accord puuisse se déduire de tout cela : il existe plusieurs formes d'amour. Seul l'amour pur est louable, les autres types d'amour sont source de malheur et il faut par conséquent s'en méfier. A cela s'ajoute que l'amour est d'une importance capitale, il prend toute l'existence, il envahit tout l'être en le définissant. Chaque geste, chaque parole de l'homme aimant est dicté par son amour. L'amour est quête de soi à travers quête de l'amour de l'autre et prise de conscience de son être au monde par l'amour de l'autre. L'amour interroge donc l'existence dans sa globalité.
Malgré ce premier consensus, l'étude des représentations littéraires et philosophiques de l'amour permet de constater que l'amour est temporel et que d'une époque à une autre, sa conception change. Ainsi, au XVIIIème siècle, le Marquis de Sade en écrivant Justine et bien d'autres oeuvres, s'inscrira clairement à contre-courant de la littérature classique d'exaltation de l'amour céleste. Ici c'est bien l'amour vulgaire qui est développé et décrit, celui de la chair, de la beauté, de la jeunesse et de l'attirance corporelle. Mais au-delà, une oeuvre comme Justine est la critique sans détours de l'hypocrisie régnant autour de l'amour, du mariage et des unions en général. Justine est la représentation de toutes les jeunes filles qui naïves et sans expérience se retrouvent mariées de force ou sans réel consetement, le plus souvent à des hommes dépassant largement leur âge. Justine est donc une critique de cette société où l'amour n'a pas sa place, où l'amour est avant tout arrangements. Notons d'ailleurs que l'ouvrage s'intitule exactement : Justine ou les malheurs de la vertu. Shakespeare évoquait déjà, par le biais du thème de l'amour impossible, l'absence de place réelle accordée à l'amour. Dans Roméo et Juliette l'amour peut exister mais seulement dans un cadre social strict et préexistant.
A ce premier changement qui est celui de l'absence de condamnation de l'amour vulgaire la perte d'une croyance dans l'amour céleste s'en ajoutent bien d 'autres. Kierkegaard dans L'existence voit dans l'almour une expression de la liberté humaine. Alors que les auteurs du XVIIème et XVIIIème siècles reprochaient à leur époque de ne pas laisser à l'amour une réelle place, Kierkegaard renforce cette idée puisqu'il voit dans l'amour cette liberté conquise par l'homme à partir du XVIIIème siècle : "L'individu se sent attiré vers l'autre individu par une force irrésistible, mais il sent justement en cela sa liberté".
Au-delà, avec Kierkegaard on sent l'évolution sociale de la notion d'amour. La question que pose l'amour n'est plus celle de savoir si celui-ci est bon ou mauvais, s'il faut s'en tenir à l'amour céleste ou si l'amour vulgaire peut être lui aussi retenu, mais de savoir comment échapper à la ruine de l'amour. Kierkegaard établit alors une relation irréductible entre l'amour et le temps.Il opère par suite une classification des différents types d'amour. Il y a d'abord le premier amour, il y a ensuite le mariage et enfin l'amour conjugal subséquent à l'union matrimoniale. Et c'est justement pour l'amour conjugal que la notion de temps est essentielle : "L'amour conjugal trouve son ennemi dans le temps, sa victoire dans le temps, son éternité dans le temps". Autrement dit, la problématique n'est plus de savoir si l'amour est bon ou mauvais mais de savoir s'il est possible qu'il soit durable ou pas et comment le poursuivre. Roland Barthes poursuit ce questionnement sur comment maintenir une relation amoureuse en examinant point par point les réactions des membres du couple. Ainsi, dans Fragments d'un discours amoureux, Roland Barthes prend plusieurs exemples de ce qui peut détruire un couple. Sous les termes "Aimer l'amour", Roland Barthes évoque la tendance à "l'annulation de l'objet aimé sous le volume de l'amour lui-même, c'est l'amour que le sujet aime, non l'objet".
Deuxième exemple d'une cause de destruction progressive de la relation amoureuse, ce que Roland Barthes nomme l'"Agony : le sujet amoureux au gré de telle ou telle contingence, se sent emporté par la peur d'un danger, d'une blessure, d'un abandon, d'un revirement-sentiment qu'il exprime sous le nom d'angoisse". Et R. Barthes d'ajouter "les angoisses sont déjà là, comme le poison préparé ( la jalousie, l'inquiétude) elles attendent seulement qu'un peu de temps passe pour pouvoir décemment se déclarer". Donald W. Winnicott (psycanalyste) estime que "le psychiotique vit dans la crainte de l'effondrement. C'est la crainte d'un effondrement qui a déjà été éprouvé. De même, semble-t-il, pour l'angoisse d'amour : elle est la crainte d'un deuil qui a déjà eu lieu, dès l'origine de l'amour". Barthes analyse ce sentiment d'angoisse en affirmant qu'il se manifeste en particulier le soir.
L'amour moderne est donc bien ancré dans les moeurs. Cependant cet ancrage n'a pas réussi à faire tarir les questionnements et ceux qui se posent aujourd'hui sont ceux des couples modernes : l'amour s'évapore et renaît ni trop amour céleste ni totalement amour vulgaire, il est un peu des deux, débutant céleste ou vulgaire il devient tour à tour l'un ou l'autre jusuq'à s'évanouir. Gilles Lipovestsky dans Le Crépuscule du devoir explique cette évolution contemporaine, post-moderne, de l'amour par l'individualisme de nos sociétés actuelles. Le professeur de philosophie évoque un "nouvel ordre amoureux" lequel se décompose d'une préeminence de l'amour vulgaire sur l'amour céleste sans que ce dernier est pour autant totalement disparu : "Eros est devenu une des expressions les plus significatives du monde de l'après-devoir". Loin sont les mises en garde du Cantique des cantiques contre les périls de la chair. L'amour est devenu le moyen de la réalisation la plus absolue de son être: il est, peut-être encore plus aujourd'hui qu'hier, le mode de définition de son existence ( cf Kierkegaard et Platon) : "Eros trouve sa légitimité en lui-même, en tant qu'instrument du bonheur et de l'équilibre individuel. Eros a coupé les liens qui l'unissaient au vice, il a acquis une valeur intrinsèquement morale du fait même de son rôle dans l'équilibre et l'épanouissement intimes des individus".
Mais, pour autant l'amour céleste n'a pas totalement disparu car l'individualisme et la volonté

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