Thursday, August 24, 2006

"C'est le regardeur qui fait le tableau" Marcel Duchamp



L'art contemporain qui débute dans la seconde moitié du vingtième siècle, se situe en rupture avec les mouvements artistiques existant jusque là. L'art ne répond plus aux exigences du plaisir esthétique (et donc à la définition de l'art donnée par Kant dans Critique de la faculté de juger : l'art n'est plus ce qui plaît universellement ). Dès lors se renouvelle et se repose plus que jamais la question : Qu'est-ce qu'une oeuvre d'art? (cf les réflexions d'Adorno pour approfondissement).
L'art contemporain posera lui-même, par le biais des oeuvres dont il se compose, cette question. De nombreux artistes pousseront les limites de l'art et interrogeront l'art par leurs oeuvres. Utiliser des matériaux de tous les jours, recycler des déchets, se contenter de peindre une toile d'une couleur uniforme sont autant de pratiques qui poussent inévitablement le public à s'interroger sur la réelle nature d'oeuvre d'art de ce qu'il observe.

Partant deux remarques essentielles s'imposent :


1/L'artiste dans l'art contemporain renouvelle radicalement la position du public dans l'oeuvre elle-même. La compréhension du tableau étant le plus souvent laissée en définitive au public, l'observateur de l'oeuvre l'achève. Marcel Duchamp affirme ainsi " C'est le regardeur qui fait le tableau", qui donne son sens à l'oeuvre, laquelle peut de ce fait revêtir autant de sens que l'intellect du regardant en produit.
Balzac dans Le chef d'oeuvre inconnu (1837) avait déjà évoqué cette idée que l'oeuvre d'art se situe au-delà de la matérialité de l'oeuvre, au-delà des mouvements de la peinture ou de la sculpture. Dans cette nouvelle, Balzac invente un peintre célèbre et reconnu qui imagine une oeuvre la plus belle de toute. Le lecteur découvrira à la fin de la nouvelle que la toile était blanche, elle n'existait que dans l'imagination de son auteur. Balzac pose ici plusieurs questions : tout d'abord il met en avant les limites de la beauté. A vouloir créer une oeuvre encore plus belle que toutes les autres, le peintre ne peut plus créer (l'art contemporain rejette d'ailleurs la notion de beauté). Ensuite, Balzac montre que ce qui fait l'oeuvre c'est la volonté, l'imagination de l'artsite puisque l'oeuvre peut n'exister que dans son esprit. Un lien avec l'art contemporain peut alors être fait. Si une toile toute bleue (Yves Klein par exemple) est pour son créateur une oeuvre d'art car dans son imagination elle représente quelque chose elle acquiert la possibilité de le devenir.
Mais seulement la possibilité car Balzac en retracant la réaction des amis du peintre qui rejette l'idée du peintre et lui renvoie la réalité de la toile blanche, Balzac semble vouloir montrer que l'oeuvre ne peut acquérir son statut d'oeuvre artistique que lorsque le public la reconnaît comme telle. Et là aussi un lien peut être fait avec l'art contemporain qui redonne une nouvelle place au public dans l'art.


2/L'oeuvre n'est plus oeuvre d'art par les mêmes critères qu'auparavant. Délaissant et même rejettant les critères classiques de beauté et d'esthétisme, l'oeuvre ne s'impose plus comme oeuvre d'art d'emblée mais doit acquérir son statut d'oeuvre d'art. Et il est intéressant d'analyser ses propres réactions ou celles de ceux qui nous entourent dans un musée d'art contemporain. Non seulement le sujet est plus actif que dans un autre musée mais au-delà il se permet de pousser la critique de l'oeuvre jusqu'au point de lui dénuer le statut d'oeuvre d'art ce qui se traduit le plus souvent, en pratique, par un sentiment d'incompréhension de la volonté de l'artiste ou plus encore par une idée de moquerie de la part de l'artiste qui aurait osé présenter cela comme une oeuvre d'art.
Ainsi, l'art contemporain soulève des questions, dérange, met à l'épreuve celui qui regarde l'oeuvre. L'oeuvre ne devient aboutie que lorsqu'elle est vue. Elle ne se suffit plus à elle-même car sa beauté intrinsèque éatant absente rien si ce n'est l'effet qu'elle peut provoquer ne peut lui conférer le statut d'oeuvre d'art. Que ce soit le dégoût ou bien l'admiration, l'interogation perplexe ou la recherche de sens, l'oeuvre fait réagir et c'est dans cette réaction, dans sa vision qu'elle acquiert son statut d'oeuvre d'art.
Ceci rejoint l'idée d'André Malraux qui dans son livre Le Musée imaginaire, montre comment le musée change la conception de l'oeuvre d'art : "Notre relation à l'art depuis plus d'un siècle n'a cessé de s'intellectualiser. Le musée impose une mise en question de chacune des expressions du monde qu'il rassemble". Et Malraux de rappeler que le musée "n'existe que depuis deux siècles".
Or, ce que Malraux souligne c'est que l'oeuvre entrée dans le musée élude la question de savoir s'il s'agit ou pas d'art. Le musée présuppose que tout ce qu'il contient est oeuvre d'art. L'art contemporain a sans doute réussi à briser ce présupposé en permettant de nouveau l'interrogation fondamentale : S'agit-il vraiment d'art? En effet, en créant des oeuvres qui par leur rapport à la beauté, au temps (Land Art), aux matières se positionnent dans un cercle qui sort de celui de l'art traditionnel, l'art contemporain malgré qu'il soit exposé dans un musée interroge le regardant.
Il semble donc qu'on puisse infirmer l'affirmation provocatrice du professeur spécialiste d'esthétique Jean Molino : "L''art aujourd'hui c'est n'importe quoi : tout le monde peut peindre et personne ne sait juger". L'art d'aujourd'hui universalise le jugement porté sur l'oeuvre d'art. Ce n'est donc pas "personne ne sait juger" mais l'art contemporain impose à tous de juger l'art car c'est par ce jugement que l'oeuvre devient art. Tout le monde ne peint pas mais tous participent à la création de l'oeuvre par la vision qu'ils en ont. L'artiste n'est donc plus uniquement celui qui crée la matérialité de l'oeuvre mais celui qui la juge...

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