Thursday, August 24, 2006

Dis-moi, ton coeur parfois s'envole-t-il ?

"Dis- moi, ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe,
Loin du noir océan de l'immonde cité,
Vers un autre océan où la splendeur éclate,
Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité?
Dis-moi, ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe?"
Cette strophe est extraite du poème "Moesta et errabunda" de Charles Baudelaire dans le recueil Les fleurs du mal. Elle évoque le coeur d'une femme qui se laisse transporter. Les mots sont éloquents : océan, envol, loin. Ce coeur, celui d'Agathe, est celui de toutes les femmes qui "parfois" s'éloignent de leur "immonde cité" pour atteindre d'autres rivages, ceux du tumulte de l'amour. Voilà ce que, pour moi, ces vers signifient. Quelques vers plus loin Baudelaire poursuit et semble faire référence au second temps de l'amour celui où la passion s'apaise et c'est alors un autre océan qui gronde celui du chagrin, de l'amour évaporé :
"Comme vous êtes loin, paradis parfumé,
Où sous un clair azur tout n'est qu'amour et joie,
Où tout ce que l'on aime est digne d'être aimé,
Où dans la volupté pure le coeur se noie!
Comme vous êtes loin, paradis parfumé!"
Les points d'exclamation ont remplacé les virgules, l'amour simple, innocent et évident a laissé place à la langueur d'un amour perdu. Baudelaire fait référence au "paradis parfumé", à un gan eden qui trouverait son existence dans le plaisir de l'amour, dans l'éclat de la virginité. Le paradis se concrétiserait dans le plaisir des amants, il revêt le parfum des éffluves de leurs corps. Mais, le paradis s'est aussi la candeur des épris qui voient dans l'être aimé seulement les qualités et vertus qui provoquent l'attachement. Le paradis et l'enfer seraient donc semblable à la passion et au chagrin qui en découle.
Baudelaire parle au nom d'Agathe, au nom de la femme aimante et crie :
"Emporte-moi, wagon! enlève-moi, frégate!
Loin! Loin! ici la boue est faite de nos pleurs!
_Est-il vrai que parfois le triste coeur d'Agathe
Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs,
Emporte-moi, wagon, enlève moi, frégate?"
Cette strophe paraît débuter par un cri, un appel : "Emporte-moi"; "enlève-moi". Mais, au fur et à mesure Agathe semble perdre la force qu'elle avait dans la voix, perdre son assurance et sa détermination, le point d'exclamation est remplacé par un point d'interrogation. Baudelaire cristallise ainsi le moment où le doute s'insinue dans le couple, où l'on commence à entrouvrir les yeux sur ce si bel amant en qui l'on croyait tant.
Baudelaire conclut le poème en posant une question à laquelle chacun de nous a eu un jour la réponse :
"Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,
Et l'animer encor d'une voix argentine,
L'innocent paradis plein de plaisirs furtifs?"
Cette question si naive est dure à poser et il est encore plus dur s'y répondre. Peut-on reconstruire un amour enfuit et pis encore peut-on rappeler à soi un amant perdu? Agathe a son coeur qui pleure. Le mien a pleuré de nombreuses fois, j'espère qu'il ne pleurera plus et que mes cris plaintifs trouveront une oreille attentive...

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