Monday, July 16, 2007

La retranscription délicate de nos sensations

"Le dessin c'est la sensation, la couleur c'est le raisonnement" Pierre Bonnard.


Toute sensation n'est pas forcément exprimée et si elle l'est, ne l'est pas obligatoirement par la parole. La force inhérente à la sensation peut impliquer une incapacité à mettre des mots sur celle-ci pour lui donner corps. La sensation trouve alors d'autres moyens d'expression et notamment la création.

C'est en ce sens que Bonnard voulait sans doute dire ici que ses desseins étaient le premier jet, le produit brut, le tracé exact de ses sensations. Mais qu'à ce premier trait il fallait ensuite donner corps de manière plus visible, plus palpable et que la couleur permet en ce sens de donner corps à ce qui est immatériel, impalpable et pourtant très présent, trop présent, la sensation.

Les artistes sont donc, avant toute chose, des êtres sensibles, sachant écouter leurs sensations et sachant les retranscrire sous une forme ou sous une autre. Rousseau ne se définissait-il pas comme un être sensible, submergé par ses émotions, ses sensations, se laissant dévorer par celles-ci. A ce titre, les sentiments ne doivent pas être considérés comme ayant le monopole des critères permettant de distinguer l'homme de l'animal. Rousseau est fondamentalement un sensualiste c'est à dire que selon lui toutes nos connaissances viennent des sensations : "Les climats, les saisons, les couleurs, l'obscurité, la lumière, les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine, et sur notre âme". Les confessions, livre 9.

Savoir s'exprimer passe donc avant tout par la retranscription de nos sensations. L'artiste est en cela un homme de l'instant, un homme qui arrête le temps, qui fige l'instant dans sa mémoire ou du moins qui conserve et retrace les sensations qu'il a pu alors ressentir. Il est aussi un être fragile et vulnérable en ce qu'il se laisse nécessairement envahir par ses sensations. Or, la sensation est comme a pu le montrer Descartes source de confusion, d'illusions, en d'autres termes dangereuses. (cf Les méditations métaphysiques). Les sensations détachent l'homme de la réalité tangible pour plonger celui-ci dans une écoute de celles-ci, une écoute qui va déboucher sur un recentrage de l'homme sur lui-même autrement dit sur un type de nombrilisme. Elles permettent certes sans doute une meilleure compréhension de soi-même mais entraînent de manière consécutive une perte de prise avec la réalité.

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