Sur la notion de paradis : pourquoi inventer un paradis?
Sur la notion de paradis : pourquoi inventer un Paradis?
Michel Onfray dans son récent ouvrage, Traité d'Athéologie, reprend  la notion nietzschéenne d'arrière-monde et parle d'antimonde. Or, par  anti-monde, le philosophe Michel Onfray va plus loin que Nietzsche. L'arrière  monde est ce qui existe après le monde. Nietzsche évoque donc par ce terme  simplement la conception classique du paradis et de l'enfer existant après la  mort, autrement dit après le monde, la vie terrestre. 
 Au contraire, la notion d'antimonde rajoute à celle d'arrière-monde l'idée  selon laquelle le paradis est conçu comme le contraire, l'opposé du monde  terrestre. Et Michel Onfray d'ajouter : " La définition du Paradis? L'antimonde,  le contraire du réel". Il ne s'agit pas, loin s'en faut, d'une simple question  de vocabulaire. Parler d'antimonde permet de comprendre que l'homme croyant a du  fait même de ses croyances, de sa foi une conception totalement différente du  monde terrestre que celle que peut avoir le non-croyant. On retrouve là la  position adoptée par Mircea Eliade dans Le sacré et le profane, lequel  explique que "le sacré et le profane constituent deux modalités d'être dans le  monde". 
 Michel Onfray voit ainsi dans le Paradis l'explication de certains  comportements des croyants actuels ou passé et il prend l'exemple de la religion  musulmane, exemple désormais classique d'explication du terrorisme : si le  terrorisme existe aujourd'hui c'est en partie pour la croyance dans ce que  l'acte terroriste permettra aux hommes d'accéder au Paradis promis. 
 Mais à renverser la perspective, à revenir à la source, on peut  s'interroger sur le pourquoi de la création de la notion de Paradis. Il va de  soi que ces propos éludent d'emblée l'explication croyante de la non-invention  du Paradis, de la vision du Paradis comme fait  avéré, qui s'impose à l'homme.  Si le Paradis est antimonde c'est que l'homme a d'une part pointé du doigt tous  les défauts et inconvénients du monde terrestre et d'autre part rassemblé ces  inconvénients pour mieux les rejetter en créant dans son imaginaire un monde  dénué de tout cela. 
 Le Paradis semble donc être la résultante de l'analyse affective du monde  terrestre et le produit de l'imagination humaine (ou divine) qui a découlé de  cette analyse. En effet, à ce premier stade,l'élément divin peut demeurer inclus  dans notre étude car l'on peut concevoir que l'analyse proposée ait été  effectuée non par l'homme mais par D.ieu.
 Or la question se pose donc dès lors de savoir pourquoi l'imagination  humaine a t-elle effectuée un tel travail intellectuel? Créer un monde  imaginaire, puisque le Paradis n'est autre qu'un monde imaginaire temporalisé et  conditionné (après la mort), est analysé le plus souvent par le besoin d'évasion  de l'homme face aux souffrances qu'il endure au cours de sa vie terrestre. Quand  le travail devient trop dur, l'ouvrier pense aux vacances, rêve (au sens courant  et non pas freudien) de vacances.
 Mais à reprendre Nietzsche l'on voit que la morale et la religion ont été  inventé pour un but précis : maintenir la distinction entre les faibles et les  forts. Si l'on reprend cette idée et si l'on l'applique à la notion de Paradis  on peut en déduire que : le Paradis est peut être plus que la réponse au malheur  des hommes sur la terre, la réponse à l'incapacité de certains hommes sur terre  à être heureux. Si l'homme ne peut accéder au bonheur du fait de sa structure  mentale (négativité) ou du fait d'une imagination trop importante alors il  inventera la paradis pour plusieurs raisons : 
 -d'une part cette notion de paradis lui permettra d'appuyer ses envies de  critique envers le monde d'ici bas : les religions parlent d'une monde  imparfait  : c'est une première justification au fait que cet homme n'est pas  heureux. Il ne le peut pas car le monde terrestre ne lui offre pas les  conditions lui permettant d'accéder au bonheur.
 -d'autre part, inventer le paradis lui permettra de focaliser son attention  sans cesse vers un futur plus heureux et de négliger le présent  : l'homme  croyant est fondamentalement un homme qui espère plutôt qu'un homme qui vit : il  espère dans des lendemains plus chantants et oublie le jour présent. 
 Ainsi on peut penser que le paradis n'a pas été inventé seulement comme  réponse compensatrice aux malheurs de l'homme dans le monde terrestre mais comme  réponse à l'inaptitude de l'homme à être heureux. Car nul ne contestera la  difficulté pôur l'homme d'être heureux. Le philosophe André Comte Sponville dans  son traité Le bonheur, désespérement, montre combien l'homme a plus de  chance d'être malheureux qu'heureux et comme le bonheur est difficilé d'accès.  Tout homme voit les inconvénients du monde et ses avantages, l'exigeant en sera  dès lors malheureux. Ensuite l'homme qui use de son imagination bâtira sur ces  fondements un nouveau monde, le sien. Le paradis serait l'universalisation d'un  des multiples produits que crée l'imagination humaine permettant de compenser  non seulement les malheurs du monde mais de justifier l'inaptitude de l'homme à  être heureux. 
 Car n'est-il rien de pire que se sachant mortel de se savoir en plus inapte  à être heureux? L'un est du ressort de la fatalité l'autre appartient au  libre-arbitre. Entre la part déterminée et volontaire du malheur de l'homme, le  paradis ne tranche pas : il répond aux deux.



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